Les 2 cônes indiquent les positions angulaires des excès de muons détectés depuis l'extérieur avec les télescopes de l'Irfu (détecteurs Micromegas). Ils sont dus à la présence d'un vide au cœur de la pyramide.
La collaboration ScanPyramids a découvert un nouveau vide au cœur de la pyramide de Kheops. Ce grand vide a été détecté par des techniques d’imagerie muoniques menées par trois équipes distinctes de l'Université de Nagoya (Japon), du KEK (Japon) et du CEA/Irfu. C’est la 1ère découverte d'une structure interne majeure de Kheops depuis le Moyen-Age
De dimensions proches de celle de la grande galerie, structure architecturale située au cœur de la grande pyramide (47m de long, 8m de haut), cette nouvelle cavité, baptisée ScanPyramids Big Void, a une longueur minimale de 30 mètres. Observée pour la première fois avec des films à émulsion nucléaire installés dans la chambre de la Reine (Université de Nagoya), puis détectée avec un télescope de scintillateurs installé dans la même chambre (KEK), elle a été confirmée avec des détecteurs gazeux, Micromegas, situés eux à l’extérieur de la pyramide (CEA) ), et donc avec un angle de vue très différent permettant d’affiner la localisation de ce vide. C’est la première fois qu'un instrument détecte depuis l’extérieur une cavité située au plus profond d’une pyramide.
Ces résultats ont été publiés par l'équipe ScanPyramids le 2 novembre 2017 dans le journal Nature.
Comment les muons ont permis de détecter une cavité dans la pyramide de Kheops ?
vidéo (2min 19s) réalisée par Estelle Lemaitre.
Méthodes d’investigation
Les trois techniques ont été déployées en direction du coeur de la pyramide. Les équipes japonaises sont installées à l’intérieur et voient les parties internes (voir figure ci dessous le cône rouge qui vise vers le haut) alors que les détecteurs du CEA à l’extérieur voient les parties à priori un peu plus externes (voir cône rouge visant depuis le sol).
La position des différents détecteurs et leur acceptance (cones rouges) : vue de côté et vue de dessus de la pyramide. En photo, les deux telescopes de l'Irfu équipés chacun de quatre plans de détecteurs gazeux Micromegas. |
« Les japonais sont situés à l’intérieur de la pyramide à la fois avec des plaques à émulsion et un télescope à scintillateurs. Nous avons placé nos détecteurs à l’extérieur pour sonder des zones qui sont complémentaires » explique Sébastien Procureur, responsable scientifique du projet à l’Irfu. « Depuis l’intérieur, ils peuvent sonder plus facilement les parties très internes de la pyramide. Malgré les conditions environnementales extrêmes, nous avons pris le parti de nous mettre à l’extérieur dans le but de sonder les régions plus périphériques donc initialement les arêtes, même si on se rend compte qu’on arrive aussi à sonder des zones plus internes. »
Les trois instruments de muographie ont tous pu détecter ce grand vide baptisé ScanPyramids Big-Void sous différents angles et à différentes positions, avec un niveau de confiance supérieur à 99,9999% (seuil dit des 5 sigmas). Ce niveau de certitude a été confirmé pour chaque résultat de muographie produit de manière totalement indépendante. C'est le niveau standard requis pour les "découvertes" en physique des particules.
Temps de pose avec les muons
Les muons sont des particules qui proviennent des interactions des rayons cosmiques avec les atomes de la haute atmosphère et atteignent continuellement la Terre avec une vitesse proche de celle de la lumière et un flux d'environ 10 000 par m2 par minute. A l'instar des rayons X qui peuvent pénétrer dans le corps et permettre l'imagerie de notre structure osseuse, ces particules élémentaires peuvent garder une trajectoire quasi linéaire en traversant des centaines de mètres de pierres avant d'être absorbées. En enregistrant la position et la direction de chaque muon qui traverse une surface de détection, les détecteurs de muons peuvent distinguer des zones de densités différentes.
Si dans une direction donnée il y a plus de muons, c’est qu’il y a moins de matière sur le chemin suivi par la particule. Mais le flux de muons étant faible, il faut un délai d'exposition important pour accumuler suffisamment de statistique, typiquement plusieurs semaines voire plusieurs mois. C’est encore plus vrai avec la pyramide de Khéops car seulement 1% des muons parviennent à traverser une centaine de mètres de roche.
Les résultats
« On a enregistré environ 15 millions d’événements par télescopes et sur ces 15 millions d’événements on avait, par jour, un excédent de 2 muons dans la direction de la grande galerie et de ce nouveau vide» précise David Attié, responsable technique du projet à l’Irfu.
Après 2 mois de prise de données dans les deux télescopes (position G1 pour « Alhazen » et G2 pour « Brahic » de la figure h ci dessous), l'analyse révèle deux excès de muons statistiquement significatifs venant du cœur de la pyramide (figures a,b,c, et d,e,f): un excès correspondant à la grande galerie et l’autre correspondant au nouveau vide. Leur modèle d’analyse confirme que l'observation des télescopes G1 et G2 converge vers la même région que celle obtenue à partir de la chambre de la Reine avec des plaques d'émulsion (figure h). Les excès combinés globaux donnent 8,4 (respectivement 5,8) sigmas pour la grande galerie (respectivement la nouvelle cavité).
Résultats des analyses des données des 2 telescopes de l'Irfu placés à l'extérieur de la pyramide et à différentes positions G1 et G2. Chacun détecte 2 excès de muons correspondant à la grande galerie et l’autre correspondant au nouveau vide |
Les analyses ont révélé que ce nouveau vide est situé au-dessus de la grande galerie. Sa hauteur est estimée entre 60 et 70 mètres par rapport au niveau du sol. Son volume précis dépend de cette hauteur et des hypothèses architecturales. Si son existence, sa localisation et les premières estimations de taille sont confirmées à 99,9999% par chaque équipe de muographie, il reste encore beaucoup d'hypothèses architecturales à prendre en compte. Des hypothèses de simulation architecturale reposant sur les données des 3 équipes de muographie seront réalisées avec l'aide des spécialistes de l'architecture égyptienne antique.
Cette nouvelle découverte importante renforce l'efficacité de l'approche collaborative et multidisciplinaire de ScanPyramids pour un monument où aucune nouvelle structure interne majeure n'avait été trouvée depuis le Moyen Age.
Une technique émergente en optimisation
La technologie des télescopes à base de Micromegas continue d’évoluer. L’équipe essaie de réduire la consommation de gaz avec une gestion électronique pour avoir à terme des détecteurs scellés qui ne rejettent plus de gaz à l’extérieur. Cette amélioration permettrait d’installer des détecteurs à l’intérieur d’une pyramide mais aussi d’aller dans des endroits plus confinés.
Un autre inconvénient de ces télescopes est qu’ils sont relativement grands. Avec ses 4 plans de détection, chaque télescope mesure 1m70. En laboratoire, l’équipe Micromegas teste de nouveaux détecteurs avec une meilleure résolution spatiale. D’une longueur réduite d’un facteur deux, le télescope sera plus facilement transportable et plus facile à mettre en œuvre.
Les ingénieurs et physiciens testent comment réaliser des télescopes avec une surface de collection plus grande sans trop augmenter le prix (même si ce n’est pas une technologie coûteuse). « Si on réalise un télescope d’un 1m² contre 1/4m² (ce qui existe actuellement) la statistique est multipliée par 4 ou 5. Donc on a la même image en 4 fois moins de temps ce qui est quand même très intéressant ! »
Conclusions
La découverte du ScanPyramids Big Void constitue une avancée majeure pour la compréhension de la pyramide de Kheops et de sa structure interne. Bien qu'il n'y ait actuellement aucune information sur le rôle de cette cavité, ces résultats montrent comment les technologies de détection développées pour la physique des particules peuvent apporter un éclairage nouveau sur le patrimoine archéologique mondial.
Trois techniques d'imagerie muonique ont été appliquées pour étudier la structure interne de la pyramide de Kheops. Les structures internes connues (chambre du Roi et grande galerie) sont observées ainsi qu'une grande cavité inconnue située entre 60 et 70 m du sol, de longueur est supérieure à 30 m et de section transverse comparable à celle de la grande galerie.
En plus d’aider à mieux comprendre les mystères autour des constructions des pyramides, la radiographie muonique trouvera d’autres applications comme imager de façon non destructive des objets denses.
Contacts Irfu : Sébastien Procureur (DPhN), David Attié (Dédip), Simon Bouteille (thèse de doctorat soutenue en septembre 2017)
vidéo (7min) sur ces nouveaux résultats à partir des 3 techniques de muographie.
Credit: ScanPyramids mission
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